Le chat du Bercy Colloc. du 28 septembre 2010 abordait la question du bon usage de la dématérialisation dans les marchés publics. Catherine Bergéal, conseiller d’Etat, directrice des Affaires Juridiques répond aux questions.
Tout d’abord, un bref historique. Le premier guide de la DAJ sur la dématérialisation, le vade mecum a paru il y a 5 ans; le deuxième guide pratique de la DAJ sur la dématérialisation des marchés publics a été publié récemment, en mai 2010. Vos très humbles serviteurs ont posé deux questions pour lequelles nous vous proposons quelques commentaires; nous ajouterons nos réflexions à certaines questions posées par les participants. Pour finir, nous réservons la noix d’honneur à quelques questions .
Première question de Thierry Amadieu et Thierry Beaugé ;
Bonjour Madame,
Quand est-ce que l’opérateur économique pourra librement signer électroniquement sa réponse à un marché public ?
Aujourd’hui il est tenu de signer avec les outils de la plateforme, ce qui dégrade considérablement l’usage de la signature électronique. Pourquoi ne pas demander aux plateformes d’embarquer les logiciels de reconnaissance de signature des autorités de certification référencées par le MINEFE ?
Selon le code civil la signature électronique est théoriquement équivalente à la signature manuscrite, si ce n’est qu’elle est beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre, car la signature manuscrite laisse le choix du papier et du stylo quand la signature électronique impose l’outil (le logiciel) et le support (la plateforme). Par ailleurs l’organisation même des entreprises fait que celui qui signe est rarement celui qui dépose une offre. Un parapheur électronique universellement reconnu est urgent si l’on veut promouvoir réellement la dématérialisation dans les marchés publics.
A cette question, Madame Bergéal a répondu :
Réponse : « En 2012, le pouvoir adjudicateur ne pourra plus refuser l’électronique. Mais librement signer ne pourra pas signifier n’importe quelle signature (Cf. référentiel général de sécurité – RGS-). La piste du parapheur est, en revanche, prometteuse »
.
Commentaire : il est exact qu’en 2012 le pouvoir adjudicateur ne pourra refuser des candidatures et des offres par électronique pour des marchés > à 90 000 euros. De ce point de vue, Madame Bergéal a raison, l’opérateur économique pourra librement signer électroniquement sa réponse à un marché public. Suit une précision sur le mot « librement », librement dans l’initiative de signer, mais en conformité avec le référentiel général de sécurité qui prescrit le niveau de signature exigé et les autorités de certifications habilitées. Enfin Madame Bergéal répond au fond de la question qui est à quand un parapheur électronique universellement reconnu dispensant de signer avec les outils de chaque plateforme. C’est une bonne nouvelle de constater que la DAJ considère comme « prometteuse » la piste du parapheur électronique, car cela laisse à penser qu’elle va sans doute développer des recherches et des actions en ce sens.
Une question voisine a été posée par un participant à laquelle la réponse est un peu plus explicite :
« Peut-on imposer l’utilisation du programme de signature présent sur la plate-forme du pouvoir adjudicateur et à disposition de tous les candidats, donc interdire l‘utilisation d’un programme propre aux candidats » ?
Réponse : « En théorie vous pouvez en utiliser un autre. En pratique, la plate-forme peut ne pas supporter cette fonctionnalité
».
Ou encore la question suivante :
« Est-il à l’ordre du jour de créer une liste d’outils de signature agréés » ? à laquelle Madame Bergéal a répondu : « Non, pas pour l’instant ».
Enfin la question sur le même sujet :
« Le point 2.3.2 du guide précise : « les plates-formes de marchés publics proposent gratuitement aux opérateurs économiques, qui n’en disposent pas, un logiciel de signature ». Ainsi, les candidats disposant de leur propre logiciel de signature sont fondés à y recourir. Que penser alors des règlements de consultation qui prévoient l’usage exclusif des outils de signature de la plate-forme » ?
Réponse de la DAJ : « En effet certains RC l’imposent et nous n’avons pas encore de jurisprudence sur cette question. Il n’est pas impossible que le juge considère que ceci est discriminatoire, si l’acheteur ne peut en prouver la nécessité »
.
Commentaire : on sent bien ici l’une des difficultés majeure de notre dématérialisation : le problème de la signature pratiquement exclusivement avec les outils des nombreuses plates-formes est posé, mais n’est pas traité. Il semble bien, en réalité, que chacun attende la jurisprudence sur ce point. Pour notre part, nous pensons qu’en effet le juge considèrerait cette restriction à la signature comme discriminatoire.
Deuxième question de Thierry Amadieu et Thierry Beaugé :
Bonjour Madame,
Quand l’acheteur public sera-t-il capable de notifier le marché par électronique ?
Il est incohérent de demander d’un côté aux opérateurs économiques de se lancer dans la dématérialisation de leur candidature et de leur offre, voire de la leur imposer, et d’autre part d’exiger d’eux qu’ils re-signent un acte d’engagement papier quand ce n’est pas tout le marché… Cela fait des années qu’on entend parler de convention avec le -back office-, contrôle de légalité des préfectures, payeurs, chambres régionales des comptes etc., sans en voir réellement les effets.
A cette question Madame Bergéal a répondu : « Certains acheteurs le font déjà, c’est donc possible ».
Commentaire : la réponse est un peu décevante car bien courte et peu explicite. Il est vrai qu’il n’est pas facile de commenter sur une telle incohérence qui veut que dans la dématérialisation on rematérialise…, mais on aurait aimé des précisions sur les difficultés rencontrées du côté acheteur pour notifier par électronique et sur les moyens mis en œuvre pour arrêter au plus tôt ces rematérialisations.
Sur un plan plus opérationnel, les soumissionnaires devraient faire remonter par leurs fédérations professionnelles leur désaccord pour rematérialiser ce qui a été envoyé de manière dématérialisée, car des problèmes de temps (faire deux fois le travail), d’incertitudes juridiques (on a deux originaux pour une même opération) et d’archivage (quel document archiver ensuite ?) se posent.
Commentaire : la pratique de la signature électronique est encore trop restrictive par rapport à la signature papier qui n’impose ni la feuille ni le stylo…Mais on n’a pas d’engagement ici de la DAJ pour faire avancer les plates-formes dans ce sens. Or elles sont en concurrence et donc peu enclines à s’ouvrir aux outils de signature des concurrentes.
Une question voisine d’un autre participant a connu une réponse un peu plus précise :
Question : « A l’heure actuelle nous sommes obligés de rematérialsier bon nombre de marchés afin de faire signer l’acte d’engagement pour le transmettre à la préfecture. Ce qui ne contribue pas à renforcer la dématérialisation auprès des entreprises. A quelles échéances les préfectures seront-elles en capacité de gérer tout le circuit » ?
Réponse : « Le ministère de l’Intérieur travaille activement à le rendre possible. Je ne puis vous donner la date ».
Commentaire : cela fait, hélas, longtemps que cela dure.
Sur la deuxième partie, nous partageaons avec vous nos commentaires sur certaines questions posées par des participants au chat :
Il n’est pas question de commenter les très nombreuses questions posées et les réponses –souvent très claires apportées par la DAJ; mais quelques constantes dans les interrogations ou quelques points plus importants :
Une plate-forme peut-elle limiter le poids des fichiers ? La réponse est oui. Cf. arrêté du 14 décembre 2009. Un opérateur économique doit prendre les dispositions de contraction nécessaires de ses documents.
Les courriers d’attribution peuvent être envoyés par télécopie. C’est aussi de la dématérialisation.
L’inscription à une plate-forme pour télécharger le DCE n’est plus obligatoire depuis l’arrêté du 14 décembre 2009. Mais il est de l’intérêt même du soumissionnaire de s’identifier, sinon celui-ci ne pourra être prévenu par le pouvoir adjudicateur en cas de modification des cahiers des charges.
Un délai de 16 jours doit être laissé entre la date de notification au candidat du rejet de son offre et la date de signature du marché par le pouvoir adjudicateur, selon la nouvelle Directive communautaire « Recours ». En cas de notification de cette décision de rejet par électronique le délai peut être réduit à 11 jours. Il était auparavant de 10 jours.
Autre question intéressante relevée : « Est-ce qu’on peut envisager un jour une uniformité des modes de réponse, afin que les entreprises ne soient pas perdues ? Car aujourd’hui il existe plus de 15 fournisseurs de plates-formes avec cinq procès de réponse » ?
Réponse de la DAJ : « Nous y réfléchissons, mais pas sous la forme d’une plate-forme unique ». On peut le comprendre, car les marchés public c’est la mise en oeuvre de la concurrence, y compris entre plates-formes, mais on peut légitimement attendre des process et des écrans identiques, sur la base d’un cahier des charges commun…
Une copie de sauvegarde arrivée dans les délais peut rattraper une offre électronique arrivée en retard.
Un DCE papier ?
Depuis l’arrêté du 14 décembre et pour les marchés formels, ou > à 90 000 euros pour les marchés d’informatique, le pouvoir adjudicateur peur refuser la transmission d’un DCE papier si celui-ci a été rendu téléchargeable.
On ne peut pas régulariser l’absence d’un certificat électronique de signature joint à l’acte d’engagement (fichier .sig par exemple), pas plus qu’on ne peut régulariser un acte d’engagement non signé.
Signer le CCAP et le CCTP ?
« Tous les documents constituant l’offre doivent-ils être signés de manière électronique, ou bine la seule signature de l’acte d’engagement est-elle suffisante » ?
Réponse de la DAJ : « Normalement seul l’acte d’engagement doit être signé, dés lors qu’il mentionne expressément les annexes de ce document. Toutefois, le pouvoir adjudicateur peut imposer la signature de toutes les pièces. Ce n’est pas ce que nous recommandons ».
Commentaire : la jurisprudence administrative rappelle constamment que la signature de l’acte d’engagement suffit. Le zip :
« Concernant la signature d’un fichier zippé, quelle est la position de l’Etat ? Sachant que sur la plate-forme de réponse https://www.marches-publics.gouv.fr, il est possible de signer un fichier zippé. Est-ce que l’Etat va changer son procès de réponse ou bien avertir les utilisateurs d’utiliser le logiciels gratuit cosign ?
Réponse de la DAJ : « Il faut signer chaque document avant de mettre sur le zip, puis signer le zip, mais nous avons bien entendu votre critique. Nous travaillons avec la plate-forme de l’Etat pour rendre le « process » plus clair ».
La noix d’honneur pour finir !
Un trait d’humour entre nous pour terminer : la noix d’honneur de la question.
S’agissant d’un chat pour promouvoir la dématérialisation des marchés publics, nous laissons les lecteurs apprécier tout le sel de la question suivante…
« Est-ce qu’un marché dont l’acte d’engagement n’a pas été signé manuscritement mais uniquement électroniquement est valide » ?
« Peut-on interdire la réception des offres par voie électronique pour les procédures formalisées » ? (Il est interdit d’interdire depuis janvier 2005 !).
Mais il y a sans doute mieux encore : « Est-on toujours obligé de rematérialiser le marché après une procédure dématérialisée » ?
Thierry BEAUGE