Directive TVA, une transposition à risque pour la facture électronique ?

A l’occasion du forum National sur la facturation électronique qui s’est tenu à Bercy le 1er mars, la DGCIS et la DGFiP (*) font le point sur le chantier de transposition de la directive TVA. La DGFIP poursuit son toilettage des textes mesurant les impacts sur tout le corpus réglementaire. Les quatre groupes de travail réunissant opérateurs et instances représentatives des utilisateurs dont le MEDEF remettent leurs conclusions et s’interrogent sur les risques d’une réforme jugée contraignante pour les entreprises.

Le point de vue de l’administration fiscale
La directive TVA 2010 /45/UE adoptée par le Conseil d’Etat le 13 juillet 2010 qui vient modifier la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (dite directive TVA) en ce qui concerne les règles de facturation, accuse déjà un retard par rapport à une transposition prévue au plus tard le 31 décembre 2012. Cette directive répond à plusieurs objectifs . Simplifier avant tout mais aussi, lutter contre la fraude fiscale et améliorer les conditions de sécurité des échanges au sein du marché intérieur. La directive TVA introduit aussi une nouvelle voie pour la facture électronique avec la piste d’audit fiable qui vient compléter le dispositif prévu à l’article 289-V et 289 bis du code général des impôts.

Le forum National sur la facture qui s’est tenu le 1er mars marque l’entrée de la transposition dans sa troisième phase « législative » avec la préparation de trois textes, deux décrets (simple et conseil d’Etat) et un arrêté. Poursuivant le travail de concertation et de pédagogie, la DGFIP a beau rappeler que l’esprit de la directive est un savant équilibre entre simplification et sécurisation face aux risques de fraude, elle peine toutefois à convaincre les instances représentatives et les opérateurs de services présents des vertus d’une réforme jugée trop contraignante pour les entreprises.

A la décharge de l’administration fiscale, la transposition qui nécessite encore une bonne dose ce concertation, n’est pas une affaire simple. La DGFiP note que cette transposition soulève au moins deux grandes difficultés. La signature électronique avancée reposant sur un certificat qualifié, en option dans la directive TVA de 2006, en renforçant les exigences de sécurité (article 232-a) devient une obligation dans la directive 2010. L’administration fiscale bien consciente du problème, insiste sur la dissociation des grandes fonctions, intégrité, confidentialité et authentification de la signature électronique, rappelées dans le projet à d’article 289-5. Elle se veut rassurante sur le fait que la nouvelle rédaction va bien sûr renforcer les exigences, sans aboutir pour autant à rendre obligatoire une signature de niveau 3. Elle autorisera aussi une signature « en masse » des documents à l’aide d’un cachet serveur par exemple, qui ne nécessite pas une identification systématique par code PIN.

Un deuxième sujet tient à la problématique de dissymétrie des modes de sécurisation entre l’émetteur de la facture et le destinataire. Alors que le principe est que la liberté de choix prévaut et que rien n’est imposable au destinataire. Ce dernier est pourtant soumis de facto à des obligations de contrôle de signature électronique et de stockage dans le format original (projet d’articles 289-6 et 289-7) en grande partie dictées par le choix de l’émetteur. Tout cela risque fort de décourager les PME et TPE de la moindre velléité de dématérialisation.

La piste d’audit n’est pas perçue comme un vecteur de simplification mais plus comme un moyen supplémentaire de contrôle. Les interrogations techniques sur la mise en place d’une telle piste d’audit restent loin d’être levées. Théoriquement, une facture PDF se verrait ainsi dispensée de signature électronique en présence d’une piste d’audit fiable. La DGFiP note au passage que le chemin de révision comptable, bien qu’étant une composante essentielle de la piste d’audit (assurant le lien avec la réalité économique de la livraison) n’est pas jugée suffisant car il ne recoupe pas absolument la piste d’audit en cas de perte de données entre différentes applications, par exemple. Cette piste d’audit devra par ailleurs être documentée par l’entreprise. Cette exigence est proportionnée au type d’entreprise (pour les TPE, la simple description des modes de recoupement effectués manuellement pourrait suffire ).

Le délai de conservation de 6 ans pour la facture papier est identique pour la facture électronique mais avec obligation de conservation 3 ans en original et possibilité dans un autre format les 3 années suivantes.

L’émetteur, devra impérativement recourir à un dispositif d’archivage électronique (SAE) capable d’assurer la conservation et l’intégrité de l’original transmis et le destinataire devra le conserver dans le format de réception. Cette règle est étendue à la piste d’audit. Les dispositions concernant la restitution restant inchangées. Les conditions de stockage sont par ailleurs assouplies en cas de stockage dans un pays tiers.

L’administration fiscale assortit ces moyens de contrôle (art L80 FA du livre de procédures fiscales), de sanctions en cas de défaut de fiabilité de la piste d’audit (et ouverture d’un droit d’enquête). Cela a des conséquences sur la politique d’archivage. Si pour l’émetteur, les factures ne sont plus des factures d’origine, la TVA est due et la déduction est susceptible d’être remise en cause chez le récepteur (seulement en cas d’absence de piste d’audit ou en cas de complicité démontrée).

Facture électronique ou fracture numérique ?

Les attentes des entreprises pourraient paraître très éloignées de l’esprit de la directive. L’AFDEL s’interroge sur la valeur ajoutée de la dématérialisation dans un tel contexte. Les quatre groupes de travail ayant planché sur l’impact du dispositif pour les utilisateurs et dont le propos était respectivement, de mesurer l’évolution du marché de la facturation électronique et le niveau d’adoption (GT1) d’étudier les modalités pratiques inter et intra entreprises (GT2) d’analyser le cadre de la piste d’audit et l’environnement de la facture (GT3) et d’envisager les moyens de l’interopérabilité (GT4) remettent leurs conclusions.

Pour le GT1, une enquête portant sur quatre mois et 186 répondants, essentiellement des PME de moins de 100 salariés et d’un CA de moins de 5 M€, montre que le niveau de prise en compte de la dématérialisation reste globalement très marginal; 92% ne font que de la facture papier. Si elles devaient dématérialiser les factures elles préféreraient le PDF. Elles ne font généralement que répondre aux sollicitations du donneur d’ordres. Plus inquiétant, la compréhension de la dématérialisation et des exigences reste faible et révèle une confusion avec un envoi de facture par mail qui ne saurait en tout état de cause constituer une dématérialisation. L’aspiration est pourtant grande à simplifier globalement leurs processus. Certaines évoquent de façon beaucoup plus surprenante, l’utilisation les réseaux sociaux comme support de dématérialisation des factures (probablement le fait d’une nouvelle génération d’entrepreneurs).

Le GT2, souligne que les freins résultent en grande partie du décalage entre les attentes des fournisseurs et des grands donneurs d’ordres. Pour les PME, c’est un investissement subi plus que voulu et des gains de productivité ne sont pas pour elles mais pour leur client. Face à un environnement jugé très hétérogène la réponse est plutôt pour des solutions clé en main. Autre sujet de préoccupation, comment être sûr que la facture est parvenu à destination ? N’étant jamais assuré qu’une boîte mail est bien relevée, les entreprises s’inquiètent des risques de non acheminement par la voie électronique et font finalement plus confiance à voie postale. En conséquence, le processus de traitement papier semble plus sûr que dans le monde numérique où l’identité de l’entreprise n’existe pas (1).

Alors que la complexité et les incertitudes juridiques (notamment sur le contrôle de la piste d’audit) devraient faire pencher la balance plutôt pour une sécurisation par la voie électronique. Le MEDEF souligne que la transposition de la directive doit être vue comme une opportunité et non comme une contrainte par les entreprises. Et pour cela, l’administration doit veiller à respecter plusieurs conditions :

  • Avoir une approche technique pragmatique de la signature électronique et de l’EDI,
  • une meilleure information et sensibilisation sur l’intérêt de la piste d’audit, source de simplification (et non comme une capacité supplémentaire de contrôle)
  • recommander l’archivage numérique complet, supportant toutes les données de la piste d’audit (cohabitation de plusieurs processus)
  • Que l’Etat acheteur fasse la promotion des 3 voies (exemplarité et acceptation)
  • Renforcer les moyens de domiciliation numérique de l’entreprise (adresse électronique officielle) pour les échanges de confiance numérique,
  • la possibilité de facture mixte permettant la convergence des besoins entre acheteurs et vendeurs (facture mixte (PDF encapsulant un fichier XML) (2).

Le GT3 insiste sur la nécessité d’une piste d’audit capable de restituer chaîne des échanges client-fournisseur. De la même manière l’archivage soulève des questions de périmètre, de classement, de numérisation des pièces annexes. La capacité de dissymétrie ne doit pas non plus effacer les gains de la dématérialisation.

L’interopérabilité élargit le débat sur l’Europe

Le GT4 souligne l’importance de ne pas exclure ce débat d’une perspective européenne. Le « multistakeholder forum » européen sur la facture qui se tenait le 7 mars à Bruxelles, nous rappelle que l’interopérabilité doit aussi trouver sa place dans un cadre élargi. Le GT4 a identifié cinq grands thèmes pour l’interopérabilité. L’interopérabilité des données et des règles de gestion contenues dans la facture elle-même en s’appuyant sur les travaux du CEN (3) et du guide de la facture en Europe du CEFACT / ONU (3). Les questions d’interopérabilité de la facture hybride et la nécessité de reconnaissance de la facture originale avec l’exploitation des données structurées (copie fidèle et durable du papier) le rapporteur cite l’exemple du Luxembourg qui a su faire évoluer sa législation en la matière. Les travaux sur l’interopérabilité des plateformes des fournisseurs de services, se référant en la matière aux travaux de l’EESPA. Pour l’archivage, l’utilisation du standard SEDA semble tout à fait appropriée d’autant que l’AFNOR a en grande partie repris les travaux autour de ce standard d’échange de données archivistique (version 2.0) pour établir sa norme. Enfin l’interopérabilité des signatures qui reste un vrai sujet surtout s’il s’agit d’une signature avancée.

En conclusion le GT4 souligne l’existence d’un modèle économique pour l’interopérabilité. Sachant qu’il sera toujours plus avantageux pour l’entreprise de se référer à un modèle fondé sur des standards d’interopérabilité plutôt qu’à des systèmes propriétaires captifs et forcément hétérogènes. (4) Dans ce cadre le principe d’une labellisation ou d’attestations des systèmes de facturation électronique pourrait être utile pour guider le choix des entreprises.

En effectuant cette transposition de la directive TVA, l’administration fiscale a fait un remarquable travail d’analyse en prenant soin d’élaguer ce qui pouvait restreindre le champ de la facture électronique. Mais il reste beaucoup à faire quant aux modalités d’application, le « diable est dans les détails » comme toujours et au final rien ne saurait garantir l’adoption des entreprises. C’est pourquoi la DGFIP est fortement invitée par les différents groupes de travail à prendre en compte la principale attente des entreprises qui porte avant tout sur une simplification du dispositif. Et peut-être pour résumer, se bien garder de transposer seulement sans simplifier au passage.

__Mais finalement, avons nous encore le temps ? De son côté la Commission Européenne prépare le chantier de la future directive facture électronique et poursuit son travail de concertation dans le cadre du « multistakeholder forum » (5) autour d’un modèle de référence dont l’ambition est de constituer une synthèse des travaux sur le sujet. Elle indique aussi la voie avec PEPPOL qui se veut finalement un mode d’implémentation des standards de facturation.

Il est à craindre que la précipitation de l’agenda européen et le retard affiché par la France dans la transposition, interfèrent avec une réforme qui vise avant tout à la simplification. Dans un document dénommé « une stratégie pour la passation des marchés publics » (6) la Commission va même plus loin et appelle de ses vœux le  » straight through e-procurement  » ce qui se traduit par « dématérialisation de bout en bout » et constitue le but ultime en englobant dans la dématérialisation, toutes les phases de la procédure de notification (e-notification préalable) au paiement (paiement électronique) effectuée par voie électronique. Nous en sommes encore loin….

Thierry AMADIEU

(*) DGCIS « Direction Générale de la compétitivité de l’industrie et des services » – DGFiP « Direction Générale des finances publiques »

(1) Une des réponses apportée par le réseau PEPPOL est justement la problématique de l’adressage résolue en grande partie par un système d’identification unique du destinataire par son numéro de TVA, SIRET ou GLN dans un annuaire central SML « service metadata locator » qui permet de router les messages quelque soit la localisation physique du destinataire.

(2) Facture mixte : il est aussi possible de générer à l’inverse une facture structurée à partir d’un simple fichier PDF avec encapsulation possible de la facture PDF originale (codée en base 64 par exemple).

(3) CEN « Centre Européen de Normalisation » connu notamment pour ses travaux dans le cadre du CEN BII sur la définition de profils de facturation, le CEFACT /ONU travaille dans la même voie que le CEN sur cette question.

(4) PEPPOL offre un modèle d’interopérabilité fondé sur des standards, ceux du CEN BII et de l’UN/CEFACT.

(5) http://ec.europa.eu/internal_market/payments/einvoicing/index_en.htm#forum

(6) « une stratégie pour la passation des marchés publics » COM (2012) 179